Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/46

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Chaque matin, au saut du lit, attifée de velours et de soie, elle se plantait devant son armoire à glace. Là, elle arrangeait les étoffes de façon à découvrir tel coin de sa chair, puis elle en changeait la disposition et mettait en lumière telle autre courbe. Puis, soudain, tous les voiles tombant, elle se contemplait avec une extase dans les yeux.

D’une beauté de formes indéniable, elle s’abusait néanmoins, ainsi que toutes les femmes, sur ses perfections. Comme elles, elle reconnaissait les points faibles de son visage, mais non ceux de son corps. Les épaules, superbes, manquaient encore d’ampleur. Les seins, fermes, et de lignes exquises, étaient irréprochables. Le défaut le plus grave consistait dans des hanches trop grêles et des jambes un peu longues. La taille, même privée de corset, conservait une finesse peut-être exagérée.

Elle s’habillait ensuite lentement, à regret.

Or qu’adviendrait-il de ce chef-d’œuvre, comme elle l’appelait tout bas ? Garderait-il sa pureté impeccable, après les fatigues de la grossesse et l’épreuve terrible de l’enfantement ? Ce doute lui infligea d’amères angoisses et des heures d’insomnie. Vite déformée, elle ne sortit plus. Elle s’absorbait en un chagrin croissant. Son ventre la terrifiait. Elle ne pouvait s’imaginer qu’il revint à ses proportions primitives.