Page:Leblanc - Une femme, 1893.djvu/66

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que de la pensée. Au café, elle gagna son boudoir et s’étendit sur un fauteuil.

C’est alors seulement que son cerveau, excité par la présence de tous les objets avoisinants, se mit à fonctionner. Aussitôt, ces mots lui vinrent à l’esprit : « Je suis aimée. » Donc, elle aussi, comme Henriette, on l’aimait. Elle aussi, valait qu’un homme la désirât et la choisît comme but unique de son existence. Indéfiniment, elle se répétait : « Il m’aime… il m’aime… » sans attribuer à ce « il » la signification qu’il comportait. Ce n’était pas M. Bouju-Gavart qu’elle désignait ainsi, mais un être indéterminé à qui elle inspirait de l’amour.

Et elle éprouva beaucoup de fierté ; appréciée, elle se jugea plus belle. Elle obtenait enfin le complément nécessaire à sa vie.

Le souvenir d’Henriette, condamnée si sévèrement sur de simples présomptions, la cingla d’une petite peur dont la piqûre lui fut agréable. Le monde ne la salirait-il pas avec la même injustice ? La perspective d’une lutte l’emplit d’une énergie fanfaronne. Elle se leva précipitamment, mit son chapeau, et, montant en voiture, dit au cocher :

— À Bon-Secours, pas trop vite en ville.

Le fiacre s’ébranla. Des passants sillonnaient le trottoir. Lucie, triomphante, leur jetait des regards de défi. Mais son tempérament ne la