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VICTOR, DE LA BRIGADE MONDAINE

carrefour, il avale un dernier kummel, qui achève de le griser, et, tant bien que mal, il repart dans son auto, suit la route de Garches. Où est-il ? Devant sa maison ? Il en est persuadé. En réalité, il n’est pas devant sa maison, c’est-à-dire devant sa villa actuelle, mais devant une maison qui lui appartient, où, durant dix ans, il a habité, où il est rentré cent fois le soir, en revenant de Paris, après avoir fait de bons dîners. Une fois de plus, il a fait un bon dîner. Une fois de plus, il rentre chez lui. N’a-t-il pas sa clef en poche ? cette clef que réclame son locataire, d’Autrey, et pour laquelle ils ont comparu en justice de paix. Il l’a toujours dans sa poche, par entêtement, et pour qu’on ne la retrouve pas ailleurs. Alors, n’est-il pas naturel qu’il s’en serve ? Il sonne. La concierge ouvre. Il murmure son nom en passant. Il monte. Il prend sa clef, et il entre. Il entre chez lui. Parfaitement, chez lui. Chez lui, et pas ailleurs. Comment, avec ses yeux troublés, son cerveau vacillant, ne reconnaîtrait-il pas son appartement, son vestibule ? »

Gabrielle d’Autrey s’était levée. Elle était livide. Elle essaya de balbutier une protestation. Elle ne le put pas. Et Victor continua, posément, en détachant les phrases les unes des autres :

« Comment ne reconnaîtrait-il pas la porte de sa chambre ? C’est la même. C’est la même poignée qu’il tourne, le même battant qu’il pousse. La chambre est obscure. Celle qu’il croit sa femme est assoupie. Elle ouvre à demi les yeux… prononce quelques mots à voix basse… L’illusion commence pour elle aussi… Rien ne la dissipera… Rien… »

Victor s’interrompit. L’angoisse de Mme d’Autrey devenait effroyable. On devinait tout l’effort de sa pen-