Page:Leblanc - Voici des ailes, paru dans Gil Blas, 1897.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tion, s’abandonnait à la joie des paroles :

— Nous avons des ailes, Madeleine ! N’est-ce pas que vous avez comme moi cette vision affolante que l’homme a des ailes maintenant ? Qu’il les ouvre donc toutes grandes, qu’il vole enfin puisqu’il lui est permis de ne plus ramper. Voici des ailes qui nous poussent, encore inhabiles et imparfaites, mais des ailes tout de même. C’est l’ébauche qui s’améliorera jusqu’au jour où nous planerons dans les airs comme de grands oiseaux tranquilles. Voici des ailes que le destin nous offre ! Voici des ailes pour nous éloigner de la terre, pour nous moquer du monde et de ses méchancetés et de ses bêtises, voici des ailes pour nos âmes affranchies ! Oh ! vous tous qui languissez après l’espace régénérateur, vous qui voulez être sains, généreux, enthousiastes, vous qui voudriez êtres bons et nobles, voici des ailes ! Vous qui enviez les oiseaux libres, vous qui cherchez des dieux derrière les nuages, vous qui jetez vos rêves et vos prières aux étoiles lointaines, voici, à portée de votre main, voici des ailes pour assouvir votre idéal.

Et il s’écriait :

— Les bornes étouffantes de l’horizon sont détruites et la nature est conquise. Nous sommes plus haut qu’elle aujourd’hui. Elle nous écrasait par son immensité lourde, nous la dominons par notre vol. Nous n’éprouvons plus ce sentiment d’impuissance et de petitesse qui nous désespère quand on chemine au ras des routes, ainsi qu’une fourmi laborieuse. La nature est nue devant nous. Elle s’offre, qui veut la prend. C’est l’amoureuse livrée, heureuse de la caresse saine et complète.

Et il disait aussi :

— Comment aurions-nous pu ne point nous montrer selon la vérité même de notre être, en toute simplicité, en toute naïveté. Les choses ne mentent pas et l’on ne ment pas non plus quand on est fondu dans ces choses elles-mêmes. On est ce que l’on est, sans hypocrisie, sans apparat. On croirait qu’une formidable poussée de sève et de joie a fait craquer l’enveloppe factice que le monde nous impose et qu’enfin jaillissent de nous les vrais trésors de notre âme.

Chaque minute les révélait d’essence analogue, doués des mêmes espoirs et des mêmes besoins. Et ils ne le savaient pas seulement par des raisonnements et des constatations, mais par quelque chose de plus mystérieux et de plus puéril, par le rythme égal de leurs jambes, par l’inclinaison pareille de leurs bustes, par la similitude de leur énergie physique et de leur jeunesse. Et chaque jour, ils s’aimaient davantage.

Un après-midi, ils allaient à l’aventure. Une contrée onduleuse les berçait parmi les magnificences de ses horizons. Ils parvinrent à la lisière d’une forêt dont la calme fraîcheur débordait sur le chemin. L’ombre les tenta. Ils mirent pied à terre.

Du haut des hêtres droits comme des colonnes descendait une paix religieuse. Ils n’osaient parler, envahis de respect et d’angoisse. La mousse des sentiers enveloppait leurs pas. Soudain, comme ils apercevaient la lueur d’une clairière, un bruit de voix les arrêta. Cela leur parut anormal, aussi étrange en ce lieu qu’une clameur en la nef d’une église. Furtivement, ils s’approchèrent, dissimulés par des taillis de jeunes arbustes. Chacun d’eux à travers les branches avança la tête. Pascal étouffa un cri et fit un mouvement pour s’élancer. Mais Madeleine lui saisit le bras de ses doigts crispés. Il la regarda machinalement, les yeux fous,