Page:Leblanc - Voici des ailes, paru dans Gil Blas, 1897.djvu/30

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Et le soir, défiante, elle le surprit à l’affût dans le jardin de l’hôtel. Un peu plus loin, Régine et Guillaume causaient.

— Je veux savoir, je veux savoir, gronda-t-il d’un ton mauvais.

— Et puis après, quand vous saurez, mon pauvre Pascal, que ferez-vous ?

Sans lui répondre, il continuait :

— Tenez… comme leurs têtes sont proches… ils s’embrassent… je suis sûr qu’ils s’embrassent… Que je suis bête ! parbleu, oui, elle est sa maîtresse.

Elle réussit à l’entraîner.

La pluie les retint deux jours. Pascal fut sombre et les autres subirent l’influence de son humeur. Madeleine surtout s’attristait :

— Vous vous en allez de moi, Pascal.

— Oh ! non, ne le croyez pas, mais je lutte contre un tas de choses qui me font du mal… et puis j’ai honte… ma souffrance est si vilaine !

— Écartez-la.

Il ne pouvait pas. Visiblement il ne cessait d’y penser, et il s’oubliait à lui en parler dès qu’ils se trouvaient ensemble. Il reprenait les faits, tirait des preuves. Une fois il lui dit :

— C’est elle qui la première a exigé deux chambres… s’ils ont succombé, c’est peu de temps après, le soir de notre arrivée à Saint-Lô… vous souvenez-vous ? Le lendemain elle était toute drôle… elle évitait Guillaume… elle a tenu à faire la route de Coutances avec moi, et elle m’accablait d’amabilités… Sûrement je ne me trompe pas.

Madeleine fut peinée que cette époque si douce ne lui rappelât pas plutôt leur aveu d’amour. Elle commençait aussi à s’affecter de sa conduite ; il lui fallait, pour ne l’en point punir, des efforts continuels et toute l’aide de sa bonté. Mais un matin, de sa fenêtre elle l’aperçut qui marchait aux côtés de Régine dans les allées du jardin. Ils s’assirent tous deux. Il avait l’air attentif, empressé. Régine riait comme une folle.

Madeleine souffrit cruellement. Elle descendit et se dirigea droit vers eux, d’un pas heurté, le visage dur, comme si elle était décidé, à son insu, à quelque révolte irréparable. Quand elle approcha, Pascal s’efforçait de prendre la main de Régine. Il ne la vit point venir. Mais Régine se sauva en simulant l’effroi.

— Nous sommes perdus, mon pauvre ami, c’est le flagrant délit.

Madeleine s’arrêta brusquement. Elle parut s’éveiller d’une sorte d’inconscience, regarda Pascal ainsi qu’un étranger et s’en retourna, sans un reproche. Bouleversé, il la suivait en suppliant :

— Ne m’en veuillez pas, je ne sais plus ce que je fais… je la déteste… et pourtant… pourtant… je ne veux pas qu’elle soit à un autre… tout mon amour-propre saigne à cette idée… il n’y a guère de quoi souffrir pour vous, Madeleine, c’est de l’amour-propre, je vous le jure, rien qu’un vilain amour-propre d’homme dont je ne peux pas me défaire… Oh, Madeleine, soyez indulgente !

Elle lui tint rigueur cependant, et l’après-midi, quand on se remit en route, elle resta froide et silencieuse.

Un clair soleil brillait. La pluie avait lavé les feuilles et aboli toute poussière. Ils avançaient rapidement, avides d’user en énergie physique l’effervescence de colère et de rancune qui les tourmentait. Le chemin s’élevait parmi de hautes collines, vers un pays plus âpre et plus mort où l’on ne découvrait d’autres vestiges d’habitation que des huttes éparses de bergers. De rudes côtes se dressaient, qu’ils grimpèrent d’un élan tenace. Malgré l’habitude prise, ils ne s’arrêtèrent même pas en voyant les deux bicyclet-