Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/113

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Les chevaux s’avançaient en cadence à pas menus… On entendait dans l’air cristallin la rumeur métallique et puissante des grandes faucheuses de blé dont les lames scintillaient comme des rasoirs. Sous leurs à-coups meurtriers tombaient les jaunes javelles, comme si les moissonneurs et leurs machines enlevaient à chaque pas l’opulente chevelure blonde de la terre dans un bruissement de hannetons gigantesques.

Moins rêveur, Pierre devenait plus réfléchi et plus grave. Il saisissait mieux maintenant la majestueuse grandeur des travailleurs de la campagne, qui sont les nourriciers des hommes…

Et ceux-ci se transposaient peu à peu dans son esprit sur l’image des lutins et des génies.

Il revenait avec Violette, tandis que la campagne s’apaisait dans l’ombre mauve.

Les travaux s’arrêtaient. On voyait rentrer sagement au bercail le troupeau laineux des moutons. Leurs clochettes sonnaient le rappel des agnelets maladroits qui trottinaient derrière leurs mères en bêlant d’un petit air délicieusement sot. Une molle langueur enveloppait la nature voluptueuse.

— On va rentrer par le jardin de Vimpelles, fit Violette.

— C’est cela, répondit doucement Pierrot.

Ils avancèrent, ouvrirent une porte et se trouvèrent en face d’une tonnelle de verdure qui abritait un banc rustique.

Le simple spectacle qui s’imposa brutalement ne devait plus s’effacer du clair regard de leurs yeux.

Mme Boisgarnier était assise, la tête penchée, très rose, toute tremblante. Près d’elle, M. des Aubiers, qui semblait vraiment ému, lui baisait tendrement la main…

Comme des mouches, des mots volaient dans l’air du soir. On entendait confusément M. des Aubiers qui parlait avec instance. De ces mots, les enfants saisirent quelques-uns.

—… Amour éternel… Ma dette sera bientôt acquittée… Solitude impossible sans vous… Mariage !…

C’était comme les grains d’un chapelet détaché dont Pierre et Violette ne cherchèrent point à rassembler les perles éparses.