Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/114

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Ce qu’ils avaient vu, ce qu’ils avaient entendu leur suffisait.

Tandis que leurs parents, surpris dans un tendre et innocent aveu, se relevaient en hâte, les petits s’enfuirent à toutes jambes dans la campagne.

Quand ils se regardèrent tous deux, à bout de souffle, assis au bord d’un grand chemin, ils s’aperçurent qu’ils pleuraient.

Pourquoi ? Assurément, ils n’auraient pas su le dire d’une manière très précise, mais ils avaient l’impression confuse et jalouse qu’on venait de leur voler un peu de ce quelque chose de très délicat, très profond et très nuancé, dont ils croyaient posséder le monopole : la tendresse de leurs parents.

Alors, ils n’eurent plus qu’un désir : fuir, fuir éperdument, retourner dans la forêt pleine de rêves qui trompent, dispensatrice des joies imaginatives qui consolent, comme dans un paradis artificiel, des cruelles réalités de la vie.

— Allons-nous ?… fit Pierre.

— Oui, chez Folette, interrompit l’intuitive petite Violette, qui avait lu dans le cœur de son grand ami.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Folette ne les attendait pas sur la rive. Ce fut une déception. Mais les deux enfants pénétrèrent d’eux-mêmes dans le moulin, dont la porte sembla s’ouvrir toute seule pour eux avec une bienveillance toute spéciale.

Dans la salle du haut, Folette était à demi étendue dans une bergère près de son petit foyer éteint. Elle semblait prodigieusement lasse. Mais — comme si elle s’attendait à cette visite — avec une infinie douceur elle écouta les sanglots des deux petits solitaires, puis le récit de toute la scène, qu’ils lui contèrent avec une naïve véhémence.

Alors, d’une petite voix presque morte, elle leur tint ce discours :

— Il y avait naguère une pauvre vieille à demi folle que vous avez guérie, vous le savez, mes enfants, avant qu’elle meure. Je crois bien me souvenir qu’elle vous chantait au fil de l’eau :

Des Aubiers et Boisgarnier seront
En justes noces alliés.

- C’est vrai ! pensèrent Pierre et Violette, saisis. C’est vrai ! Elle avait tout prévu.

— Mais oui, mais oui, reprit Folette dans un petit sourire de moribonde, comme si elle avait entendu leur voix intérieure.

»  Mais oui, Folette sait tout ou devine tout, je vous l’avais dit un jour…

»  Voyez-vous, mes chers petits, vos parents sont seuls, infiniment seuls… Qui donc n’est pas seul dans la vie et ne cherche pas à sortir de sa solitude intérieure ? Oh ! ils vous aiment tendrement, mais vous n’avez pas encore l’âge voulu pour les aider et les soutenir sur la route de la vie. Ils sont encore assez jeunes pour avoir droit à un peu de bonheur. Ce bonheur, vous pouvez le leur donner en aidant à leur mariage… Mais oui ! Mais oui ! Pour le moment, cela vous peine, en attendant que ce soit votre joie, je le sais. Mais je vous atten-