Consterné, Pierre regarde sa main. Il a combattu le bon combat, mais il a été vaincu ! De petites gouttelettes rouges commentent à jaillir d’une estafilade que Razibus vient de signer de sa griffe, et d’autres petites gouttelettes sont bien près de jaillir de ses pauvres yeux de « gosse ».
Et le plus fâcheux de l’aventure, c’est que Maria, la servante, a vu la scène. Elle quitte l’orgue de Barbarie silencieux. D’un un geste prompt, elle saisit son torchon comme un étendard de bataille et — la voix volontairement farouche — elle crie aux petits, éperdus :
— Sortez les batailleurs, sortez bien vite, ou je vais vous attacher mon torchon quelque part.
… Voilà comment Pierre dans la première lutte de la vie connut l’adaptation aux dures réalités de ce monde et l’envol de ses rêves : voilà comment, au lieu de monter dans le carrosse de M. de Carabas, Violette et lui furent chassés de ce paradis culinaire qu’était la cuisine des Aubiers.
Violette en fut marrie. Entendant le gros soupir qui gonflait la poitrine de son ami, elle sentit elle-même qu’elle était bien près de pleurer…
Pleurer ? Fi donc ! Il valait mieux chanter pour consoler son petit ami.
Elle entonna d’une voix mal assurée :
Madame à sa tour monte…
Mironton, mironton, mirontaine.
Madame à sa tour monte…
— Tu chantes, Violette ?
— Tu vois bien que oui. Tu ne comprends donc pas :
Madame à sa tour monte…
— Oh si ! je comprends. Mais puisque la clef est perdue !
— Ah ! c’est vrai, fait la malicieuse Violette qui avait oublié sa plaisanterie de tout à l’heure. Elle est même cachée, qu’on dit, tout au fond du vieux puits qui est près du donjon.
— Je vais y descendre répond bravement Pierre un peu ému.
— Mais non, mais non, mon petit Pierre. Tu sais bien que je te taquine. C’est pas vrai !
Au fond, Violette commençait à se laisser à demi-prendre aux fantasmagories de Pierre. Sa malice se mêlait à l’attendrissement et à la curiosité féminine. Elle grillait d’envie de monter à la tour.
— Oui, ajouta-t-elle, on va pouvoir entrer. Pas besoin de clef. Les mots magiques que tu sais suffiront.
— Hein ! Quoi ! les mots…
— Chut ! Chut ! Tais-toi. Faut pas dire ça ici. On va monter.
Le soleil de l’espoir dissipe bien vite les larmes d’une déception première. Comme le chat qui, là-bas, s’agitait avec fureur et s’empêtrait dans sa petite robe de demoiselle, les enfants s’enfuirent