Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/36

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Ces paroles désobligeantes étaient prononcées par un vieillard de haute mine qui n’avait point l’air aimable, avec sa petite tête aux traits déformés, d’une pâleur bouillie entre des favoris maigres et quelques touffes de cheveux à l’oiseau.

Écroulée devant lui, une merveilleuse jeune fille au visage fait à peindre sanglotait éperdument.

— C’est Cendrillon ! Cendrillon qui va être battue devant sa vilaine sœur, songea tout de suite le vaillant petit Don Quichotte. Et son cœur se fit gros, gros, si gros qu’il pensa éclater… Mais nous allons tout arranger, se dit-il. Il était temps que j’arrive.

Et prenant un air important, il avança avec résolution.

— Monsieur, le voici le soulier que vous cherchez. C’est pas la faute à Mademoiselle si elle l’a perdu.

— Où l’as-tu trouvé, petit ?

Mais… Mais… Mais… Est-ce que dans la vie les choses se passeraient beaucoup plus mal que dans les contes de Perrault ? Ma foi c’est bien possible, car « Don Quichotte » obtient un résultat tout contraire à celui qu’il attendait.

Le grand vieux Monsieur — un méchant prince ? — prend la pantoufle sans mot dire. Sans doute est-il très myope, car il l’approche tout près de son grand nez d’épervier. Même ses sourcils en bataille se confondent avec les poils de la pauvre petite pantoufle et il renifle la boue dont elle est souillée tout comme un vieux qui hume la poudre de sa tabatière à queue de rat. Sa figure se décompose.

— Coquefredouille ! cria-t-il en regardant « Cendrillon ». Ah ! je vous y prendrai, mademoiselle ! C’est du joli ! Vous avez encore mis vos pantoufles hier pour ne pas faire de bruit et, malgré ma défense, vous avez été jusqu’au bourg, voir le rapin que vous voulez épouser ! Un rapin ! fi donc ! Ah ! j’ai été bien malavisé de vouloir votre portrait ! Ce grand dadais n’est pas un homme pour vous. Vous resterez aux arrêts pendant huit jours pleins, bousillonne ! Oui, oui, c’est comme ça, petite Coquebine !

— Un rapin ? Qu’est-ce que c’est encore que ça ? se demande Pierre un peu inquiet tandis que la jeune fille pleure, pleure éperdument.

Mais tout à coup le regard du grand vieux colérique devient doux comme un rayon de miel. Il se tourne vers les enfants.

— Mes chers petits, vous m’avez rendu un fier service. Je suis pressé de vous quitter, car on m’attend dans mes bois, mais passez donc dans la salle à manger… Tenez, par ici… c’est ça… Entrez donc. C’est l’heure de la collation. Vous aurez un goûter qui ne sera pas trop mauvais, je l’espère. Au revoir, mes enfants, au revoir.

Ciel, quel spectacle !

Dans la salle à manger Empire dont la lourde table est soutenue par des sphynx de cuivre, vraiment très obligeants, les mets les plus succulents du monde s’écroulent sur une nappe damassée. Il y a là des gâteaux qui valent la rançon d’un roi, des blancs-mangers des reines de Saba, des pets de nonne, des crèmes d’amour, des zéphyrs à la praline, des riquiquis à la vanille… que sais-je ? Il y a aussi des pommes de toutes sortes dont les visages rouges ont joui tout l’été des baisers de la brise chaude, il y a des poires de bergamote, de beurré d’Aremberg, de doyenné