Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/43

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vrit des crocs un peu semblables à ceux de sa maîtresse, et un formidable aboiement mit les enfants en déroute…

Mais à peine avaient-ils franchi le seuil dans leur premier mouvement d’épouvante, qu’ils virent la pauvre Véronique sur le pas de la porte ; elle leur jetait un regard suppliant.

Pierre eut des remords. Tandis que Violette prenait par la main le pauvre petit Chaperon rouge, il risqua une énergique rentrée :

— Madame, dit-il à la « Mère Grand », en grossissant sa voix et en se dressant bien haut, madame, c’est pas bien ce que vous faites là, vous…

— Attends, attends un peu, clama la vieille outrée ; tu veux me faire la leçon mon garçon, je vas cogner dur et lâcher Satan.

Comme Pierre ne bronchait pas sous la béquille levée, la détestable « Mère Grand » usa du meilleur subterfuge :

— Plus vous resterez ici, les marmousets, cria-t-elle encore en roulant des yeux de braise, et plus c’est Véronique qui écopera. Je vas cogner fort si vous ne partez pas. Et toi, mon bijou, je te vas détacher.

Les brides de son grand bonnet au vent, elle s’avança vers Satan, qui hérissait son échine de hyène.

Que faire ?… La lutte était impossible. Ce terrible chien était peut-être bien encore plus diabolique que la grand’mère elle-même ?

Et une seule voie sans grand honneur demeurait aux enfants : la retraite !

Ils partirent, le cœur bien gros… sans oser se parler, sans, hélas ! pouvoir dire un mot à Véronique qui demeurait tapie dans l’herbe comme une petite botte de coquelicots fanés.

Violette demanda seulement à Pierre :

— Reconnaîtras-tu le chemin ?

— Mais oui ! Tu n’as pas vu que comme le Petit Poucet j’ai jeté des cailloux sur la route ?

— Dieu ! que tu es intelligent ! fit Violette pénétrée.

Une demi-heure plus tard, les petits arrivaient aux bords de la rivière. Folette folâtrait le long de la rive. Elle semblait les attendre. Doucement, elle leur sourit, puis elle les prit par la main sans mot dire pour les conduire sur la barque.

Alors, quand elle eut passé les enfants de l’autre côté de l’eau, elle leur fit longuement conter leurs aventures. Elle avait, cette fois, une mine sagace, avertie, un peu douloureuse…

— Pauvres petits, dit-elle aux enfants harassés de fatigue et pleurant d’émotion… Pauvres petits… Vous faites en ce moment l’apprentissage de la vie. Vous cherchiez des fées et vous avez trouvé des femmes ; vous cherchiez des génies et vous avez trouvé des hommes… Vous aurez encore de rudes épreuves. Mais console-toi, mon petit Pierre, tu cherchais aussi un trésor et je crois que tu l’as trouvé.

» Il n’est facile ni de redresser les torts, ni de corriger tout de suite le prochain ; il n’est pas facile de trouver de l’or pour faire de Violette une princesse ; mais il y a d’autres trésors, ceux qu’on rencontre dans son cœur en faisant le bien. Ce trésor, vous l’avez trouvé en essayant au moins de faire de bonnes actions dans la forêt. »