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d’ailleurs qu’ironique, interrompit le dialogue des enfants.

Un visiteur venait d’arriver. Le diapason croissant de la conversation avait étouffé le bruit de ses pas.

— Ah ! quel bonheur ! s’écria Violette, c’est le cousin François !

— Bonjour, François ! fait-elle en l’embrassant. Comment vas-tu ?

— Très bien. Je suis venu du bourg en me promenant. Je m’ennuyais de toi.

Pierre demeurait un peu gêné devant cet inconnu, avec l’impression, fausse, d’ailleurs, que sa petite personne était devenue tout à fait désobligeante et même inutile.

— Comme je suis étourdie ! ajouta Violette, qui saisit tout en un clin d’œil. Vous ne vous connaissez pas, c’est vrai. Pierre, c’est mon grand cousin François, tu sais, celui dont le père est ingénieur à l’usine qu’on voit du donjon. Et toi, François, tu n’as jamais vu mon ami de Paris, Pierre Boisgarnier ?

Très fière, cette fois, de présenter l’une à l’autre ces personnalités importantes, Violette a baissé ses manches et abandonné la mise au point du remoulage. Encadré dans sa petite fenêtre, Victor-le-cochon, lésé dans son espoir, paraît consterné.

Pierre a toisé le nouveau venu sans bienveillance. Il n’est pas antipathique, cependant, ce beau gars de douze à quatorze ans, à l’allure énergique, au regard droit, au front éclairé sous les cheveux rejetés en arrière.

Mars dans ses habits de « petit monsieur de la ville », dans son allure décidée, Pierre trouva qu’il avait l’air trop sûr de lui, un peu suffisant.

Non, décidément, ce n’est pas un ami. Et puis, pourquoi cet éclat de rire ?

Pierre est ombrageux, susceptible. Il n’a aucune confiance en lui-même, parce qu’il n’a pas assez vécu dans le réel et s’est trop replié sur lui-même.

La conversation s’engage sur des banalités.

— Comme il fait beau ! dit François.

— Je ne trouve pas, répond Pierre ; il fait trop chaud !

— Vous n’aimez pas la chaleur ?

— Si. Mais pas aujourd’hui. J’étouffe ici…

Le ton est agressif.

À son tour, François, dont les intentions étaient aussi pures que l’azur du ciel, sent monter en lui un peu d’irritation. Il y a de l’orage dans l’air.

— Eh bien ! monsieur, dit-il, si vous avez trop chaud, allez donc à l’ombre de votre forêt enchantée.

— Vous me renvoyez ?

— Oh ! non. Mais je pense que vous serez mieux avec les génies et les fées qu’avec ma chère petite cousine Violette.

Violette ne dit rien. Je crois qu’elle s’amuse un peu. Le silence n’est rompu que par Victor, qui grogne avec fureur. Quelle pitié ! Personne ne semble comprendre que, dans le langage porcin, il crie à tue-tête : « Je veux mon remoulage ! »

Pierre devient très rouge.

— Que voulez-vous dire, monsieur, avec vos fées et vos génies ? Vous avez l’air de vous moquer.

— Mais oui !

— Et c’est pour ça que vous avez éclaté de rire ?

— Mais oui !