Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/50

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Aussitôt, Pierre se redressa. Il n’était plus question, cette fois, de licorne ni de crocodile… La réalité était là… et, vraiment, cette attitude du monstre était redoutable.

Mais Pierre connaissait sa littérature étrangère. Tandis que Violette cherchait vainement à faire fuir la vache, arcboutée sur le sol vert, il s’apprêta bravement à jouer le rôle de toréador.

En un clin d’œil, il jeta bas son veston, s’en voila à demi comme d’une cape et fonça sur Jeannette la gaule en main, tout comme dans une arène de Séville.

Stupéfaite, la vache ne bougea pas.

Pierre, au fond de lui-même, n’était pas sans appréhension. Ces cornes pointues, cette tête formidable à presque deux pas de lui, c’était tout de même là quelque chose d’un peu terrifiant.

Mais, maître de lui, surexcité par l’élan même de son improvisation, il avança toujours d’un pas menaçant et frappa droit Jeannette au défaut de l’épaule.

De plus en plus saisie, Jeannette, après un moment d’hésitation, pivota sur elle-même. Puis elle reprit vers l’étable sa marche stupide et majestueuse, appuyant son corps trop lourd, gros marron épluché aux tavelures brunes et blanches, sur ses jambes grêles et ses pieds fourchus, qui s’écrasaient contre le sol dans un drôle de bruit sourd.

— Bravo ! bravo ! s’écria spontanément François en face du courage de son « ennemi », dont il admirait le courage. Bravo, torero !

— Bravo ! répéta Violette, qui, après avoir eu un peu peur, riait maintenant à gorge déployée. Toi, François, tu rentreras les ânes et tu nous rejoindras tout à l’heure. Moi, je vais avec Pierre jusqu’à l’étable. Il a bien mérité un bon bol de lait mousseux !

— C’est bien, c’est bien, me voici ânier ! répondit flegmatiquement François.

Et comme c’était un petit monsieur très soigné, il rajusta le désordre de sa toilette avant de prendre par l’oreille le joyeux Pancrace, qui s’ébroua en découvrant le grand clavier jaune de ses dents d’un malin sourire d’âne triomphateur.

Violette et Pierre regagnèrent la basse-cour où Violette discernait un bruit coutumier. Ce bruit elle le respectait, car il marquait pour elle une heure solennelle et royale puisque c’était l’heure du goûter.

— Nous allons boire quelque chose de bon ! dit-elle d’une voix fervente avec le respect des choses de l’estomac qui rarement fait défaut chez l’enfance.

En effet, elle a entendu les sabots de Caroline — la femme de basse-cour — qui heurtent les pavés. Reine de la bas-