Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/62

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Pierre est grisé. Il ne se connaît plus. Joyeux d’avoir réalisé ses rêves, puis d’avoir échappé à d’aussi terribles ennemis, il brandit son gourdin et ne songe déjà qu’à de nouvelles aventures.

— Ça n’a aucune importance, fait-il dédaigneusement. Je n’ai pas peur. Ces nains, ces monstres, il faudra les vaincre. Et alors… alors, si c’est de l’or qui est dans les coffres de la caverne, tu seras riche, tu seras la reine du pays, et ce sera beau, car tu es bonne, tu donneras beaucoup d’argent aux pauvres.

— Sûrement. J’aime bien mieux ça que d’avoir les yeux cuits dans les feux verts et rouges, et mangés par les farfadets. En attendant, si on s’en allait ?…

— Chut ! Chut ! fait Pierre. Écoute, donc…

— On entend des froissements de branches cassées. Dans un chemin surgissent deux énormes dogues qui de leurs pattes massives s’arcboutent sur le sable. Leurs oreilles toutes droites menacent le ciel, ils enflent leurs lourdes bajoues pour grogner un peu en face des enfants. Mais on voit bien qu’ils font cela « pour le plaisir » et qu’ils veulent seulement manifester leur importance de molosses gras et riches, car Violette et Pierre sont à leurs yeux de très petit gibier. Dédaigneux ils passent derrière les talons de leur maître qui suit son chemin sans même regarder les enfants un peu vexés.

C’est un drôle d’homme. Il marche, tête basse, les mains dans les poches, le dos voûté, marmonnant tout seul on ne sait quelles paroles. Comme il a l’air triste !

— J’ai vu cette tête-là quelque part, murmure Pierre.

— Mais, Pierrot, fait Violette, tu ne le reconnais donc pas ? C’est Barbe-Bleue ! Tu sais bien celui que nous avons rencontré l’autre jour dans l’allée.

— Ma parole ! C’est vrai !… mais pourquoi répète-t-il des formules magiques ? Je suis sûr qu’il va faire quelque mauvais coup ! Ah ! cette fois on ne le ratera pas ! Faut le suivre.

— Mais, Pierre ! le déjeuner !

— Tu ne penses qu’à manger.

— Mais non, je ne pense qu’à ne pas être mangée. C’est pas la même chose.

Pierre s’exalte.

— Ma petite Violette, tu ne voudrais tout de même pas que je laisse tuer encore une ou deux femmes…

— Si ce n’est pas le vrai Barbe-Bleue ?

— On verra, on verra… Mais il faut le suivre.

Violette a pris le goût des émotions comme certains malades prennent celui des toxiques. Et puis elle accompagnerait maintenant Pierre au bout du monde. Et les voilà de nouveau qui partent vers des aventures fabuleuses.