Page:Leblanc et Maricourt - Peau d’Âne et Don Quichotte, paru dans Le Gaulois, 1927.djvu/71

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Mme Boisgarnier ne remarqua point sa pâleur. Elle-même avait meilleure mine qu’au premier jour. Des couleurs animaient ses joues. Ses gestes étaient moins las, sa voix se faisait moins dolente. C’était à croire qu’elle puisait maintenant à quelque source vive des forces inconnues…

— Où avez-vous été hier avec Violette ? demanda-t-elle. Tu ne m’as rien dit.

— Dans la forêt.

— Qu’est-ce que vous avez fait ?

— Rien. On a vu des choses.

Pierre se rendormit… Le chocolat, tout refroidi, se lassa d’envoyer ses fumées au plafond, et Mme Boisgarnier quitta la pièce en souriant. Ce fut au cours de l’après-midi seulement qu’elle déclara :

— Tu ferais bien d’aller jouer avec ta petite amie Peau d’Âne, parce que, ces jours-ci, elle sera moins libre.

— Pourquoi ?

— Son père arrive ce soir. Il m’a écrit une lettre d’affaires qui est très bien. On sent le vrai gentleman.

Pierre ne se le fit pas dire deux fois. Quand il s’agissait de retrouver Violette, il eût pris volontiers ses jambes à son cou.

En arrivant dans la cour des Aubiers, il s’aperçut que Violette n’était pas seule. François était là, la casquette en arrière, les mains dans les poches, l’air un peu narquois…

Pierre ne fut point satisfait. Pourquoi ? Il ne le savait pas trop lui-même.

— Bonjour, Violette ! bonjour, François ! fit-il.

— Bonjour, Pierre, répondit François. Je vous attendais. Je savais par votre mère…

— Comment ! vous connaissez donc maman ? Elle ne m’a rien dit.

— Oui, reprit François, un peu embarrassé. Je l’ai vue une ou deux fois… Des affaires dont mon père m’avait chargé.

— Pierrot, tu nous interromps, intervint Violette. Mais je suis bien contente. Figure-toi que François me rit au nez parce que je lui parle des Nains.

— Je ne comprends rien du tout au récit de Violette, dit en effet François. Racontez-moi donc cette histoire-là, mon petit Pierre.

Il convenait de soutenir Violette. Pierre ne se fit pas prier. Avec force détails et un peu d’exaltation, il conta au « grand jeune homme » l’horrible aventure des nains, des feux de couleur, des ogres, de la caverne enchantée. Il était tour à tour enthousiaste, véhément, persuasif.

Le sourire ironique de François devenait agaçant. Ne voilà-t-il pas même que, d’un air supérieur, ce détestable sceptique répondait flegmatiquement :

— Mon pauvre petit, j’aime autant