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Il semblait surtout éprouver la terreur d’une agonie solitaire au milieu d’indifférents et de mercenaires ; très ému à la vue du lugubre spectacle qui m’était offert, je lui pris les mains… déjà froides ; il me parla de suite de la mission qu’il voulait me confier, sa respiration haletante rendait les phrases plus tragiques, des mots sans suite, où le nom de sa mère alternait avec celui de son village natal, des prières, des supplications, et surtout la plainte lamentable, le regret de mourir loin de sa patrie, privé des soins de sa maman ; puis, tout à coup, l’étreinte glaciale de ses mains qui se cramponnent désespérément à la vie, un soubresaut, un dernier regard, regard terrible, effaré, où la vision de la mort passe comme un éclair, puis un dernier cri vint mourir sur ses lèvres : Maman ! et il retomba inerte sur la litière de ce que l’on appelait à Soltau hôpital.

La grande faucheuse, celle qui ne pardonne pas, une fois de plus, avait aveuglément accompli son œuvre néfaste.

Très impressionné par cette agonie épouvantable à laquelle je venais d’assister, je me retournai ; ses voisins, rigides dans la position militaire, saluaient la dépouille mortelle de l’ami qui venait de partir, pendant que de grosses larmes silencieuses, non essuyées, roulaient sur leurs joues amaigries, y traçant des sillons blancs. Je me penchai, et doucement, bien doucement, tout comme sa mère l’aurait fait, j’es-