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suyai le mince filet de sang qui suintait à la commissure des lèvres et fermai les yeux de ce martyr.

Pauvre petit soldat, quelle triste destinée fut la tienne ! Je t’ai fermé les yeux, je t’ai promis d’aller consoler ta vieille maman, de lui dire comment est mort son malheureux fils et quelles furent ses dernières pensées ; combien ton sort fut cruel : épargné par les balles et venir, alors qu’on te croit sain et sauf, succomber en terre ennemie. Seuls ceux qui n’ont pas connu l’amertume de l’exil ne peuvent comprendre combien est immense la douleur de ceux qui, le dos voûté, suivent sous une pluie fine et pénétrante, la dépouille mortelle d’un ami.

Ces enterrements sont des épisodes douloureux de notre vie de prisonniers. En avons-nous suivi de ces malheureux allant dormir leur dernier sommeil sous la triste bruyère ![1] Ce jour-là, nous avions obtenu qu’une délégation rendît à notre frère d’armes les derniers devoirs. Lentement, nous nous acheminions vers le petit cimetière aménagé par nos soins à la lisière du bois proche de notre camp. Pour cercueil, une capote[2]. Descendu rapidement au fond de la

  1. Le cimetière du camp de Soltau contient plus de mille tombes.
  2. À partir de novembre 1914, nos morts furent enterrés dans des cercueils, que le bureau de bienfaisance faisait faire.