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KHIRÔN.

Volait vers Ortygie ou la sainte Délos,
Je déposais mon arc et mes flèches sanglantes,
Et, le front incliné sur les divines plantes,
Je méditais Kybèle au sein mystérieux,
Vénérable à l’esprit, éblouissante aux yeux.

Tels étaient mes loisirs, ô Chanteur magnanime !
Tel je vivais heureux sur la terre sublime,
Toujours l’oreille ouverte aux bruits universels,
Souffles des deux échos des parvis immortels,
Voix humaines, soupirs des forêts murmurantes,
Chansons de l’Hydriade au sein des eaux courantes ;
Et formant, sans remords, le tissu de mes jours
De force et de sagesse et de chastes amours.
Oui, tel j’étais, mon hôte, en ma saison superbe !
Je buvais l’eau du ciel et je dormais sur l’herbe,
Et parfois, à l’abri des bois mystérieux,
Comme fait un ami, j’entretenais les Dieux !
En ce temps, sur l’Ossa ceint d’éclatants orages
J’errais, et sous mes pieds flottaient les lourds nuages,
Quand au large horizon par ma vue embrassé,
Où sommeille Borée en son antre glacé,
Je vis, couvrant les monts et noircissant les plaines,
Attiédissant les airs d’innombrables haleines,
Incessant, et pareil aux épais bataillons
Des avides fourmis dans le creux des sillons,
Un peuple armé surgir ! Des chevelures blondes,
Sur leurs dos blancs et nus, en boucles vagabondes
Flottaient, et les échos des monts qui s’ébranlaient