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POÈMES ANTIQUES.

Et depuis, j’ai vécu, mais dans mon sein gardant
Ce souvenir lointain comme un remords ardent.
Pour adoucir les Dieux, pour expier ma faute,
J’ai creusé cette grotte où tu sièges, mon hôte ;
Et là, durant le cours des âges j’ai nourri
De sagesse et d’amour tout un peuple chéri,
Peuple d’adolescents sacrés, race immortelle
Que le lion sauvage engraissait de sa moelle,
Et que l’antique Hellas, en des tombeaux pieux,
Tour à tour a couchés auprès de leurs aïeux.

Viens ! ô toi, le dernier des nourrissons sublimes
Que mes bras paternels berceront sur ces cimes,
Ô rejeton des Dieux, ô mon fils bien aimé !
Toi qu’aux mâles vertus tout enfant j’ai formé,
Et qui, de mes vieux jours consolant la tristesse,
Fais mon plus doux orgueil et ma seule richesse !
Fils du brave Pélée, Achille au pied léger,
Puisse ton cœur grandir et ne jamais changer !
Ô mon enfant si cher, Hellas est dans l’attente.
Quels feux éclipseront ton aurore éclatante !
Le plus grand des guerriers, embrassant tes genoux,
Au pied des murs d’Ilos expire sous tes coups...
Un Dieu te percera de sa flèche assassine ;
Mais comme un chêne altier que l’éclair déracine
Et qui, régnant parmi les hêtres et les pins,
Emoussa la cognée à ses rameaux divins !
Sous le couteau sacré la vierge Pélasgique
Baignera de son sang ta dépouille héroïque ;