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POÈMES ANTIQUES.

D’un cours aventureux enveloppe le monde !
Mais, ô crime, ô douleur éternelle en sanglots !
Quelle tête sacrée errant au gré des flots,
Harmonieuse encore et d’un sang pur trempée,
Roule et gémit, du thyrse indignement frappée ?
Iakkhos, Iakkhos ! Dieu bienveillant, traîné
Par la fauve panthère ! Iakkhos, couronné
De pampres et de lierre et de vendanges mûres !
Dieu jeune, qui te plais aux furieux murmures
Des femmes de l’Édôn et du Mimas ! ô toi
Qui déchaînes, la nuit, sur les monts pleins d’effroi,
Comme un torrent de feu l’ardente Sabasie...
De quels regrets ton âme, Évan, sera saisie
Quand ce divin Chanteur égorgé dans tes jeux
Rougira de son sang le Strymôn orageux !
Ô mon fils ! — Mais sa voix expire dans les larmes.

— Centaure ! dit Orphée, apaise tes alarmes.
Les pleurs me sont sacrés qui tombent de tes yeux,
Mais la vie et la mort sont dans la main des Dieux. —

Il marche, et, reprenant le sentier de la veille,
S’éloigne. Le ciel luit, le Péliôn s’éveille,
Tout frais de la rosée attachée à ses flancs.
Au souffle du matin les pins étincelants
S’entretiennent au fond de la montagne immense ;
Le bruit universel des Êtres recommence.
Les grands troupeaux, suivis des agrestes pasteurs,