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POÈMES TRAGIQUES.


Cet œil féroce où flambe un reflet de l’Enfer,
Où que tu sois, que tu veilles ou que tu dormes,
Te traverse le cœur d’un immuable éclair.

Et trois Ombres encor, trois Sarrasins difformes,
Debout, devant ta face, avec le rire aux dents,
Te dardent fixement leurs prunelles énormes !

Ce lévrier, ces trois spectres, ces yeux ardents,
Hors toi, nul ne les voit, nul ne sait le supplice
Qui te laisse impassible et te ronge au dedans.

Çà et là, pour leurrer le Diable et sa malice,
Tu vas et viens, pillant, tuant ; sur ton chemin
Toujours la Vision implacable se glisse.

Tu ne peux arracher ni l’anneau de ta main
Ni la sourde terreur de ton âme, et tu rêves :
Que va-t-il m’arriver cette nuit, ou demain ?

Et, semblables aux flots qui vont battant les grèves,
Du temps inépuisable écumes d’un moment,
S’accumulent sur toi, Magnus, les heures brèves.

Ta puissance, ton or, l’horrible enivrement
De tes forfaits, n’ont pu combler ton cœur, abîme
De songes effrénés, ta joie et ton tourment.

Comme un homme debout sur quelque haute cime,
Et qui chancelle au bord de gouffres entr’ouverts,
Le vertige t’étreint, et son horreur t’opprime.