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POÈMES TRAGIQUES.


Vois ! c’est la salle antique où mourut ton aïeul !
Écoute ! c’est le vent dans la tour écroulée
Où le hibou hulule, et qu’il habite seul ;

C’est le Rhin qui murmure et fuit dans la vallée,
Sous le roc d’où, jadis, vers la tombe d’un Dieu,
Comme l’aigle au matin, tu pris ton envolée.

Par où, comment, Vieillard, revins-tu dans ce lieu ?
Tu ne sais, si ce n’est que ta chair est vivante.
Tes démons familiers ont accompli ton vœu !

Ici, tels qu’autrefois sur la face mouvante
Du désert, ils sont là, tous quatre, le Chien noir
Et les trois Sarrasins, ta secrète épouvante.

Oh ! s’arracher les yeux pour ne plus les revoir !
S’engloutir dans la nuit solitaire et profonde,
Dans l’oubli de la vie et de son désespoir !

Pareil à Laquedem qui marche et vagabonde,
Sans but et sans repos, et toujours haletant,
Faut-il attendre autant que durera le monde ?

Où sont-ils, pour bénir l’irrémissible instant,
Tous ces moines, ces vils mâcheurs de patenôtres,
Gorgés par tes aïeux de tant de biens pourtant ?

Te voyant misérable et seul, les bons apôtres
Ne donnent rien pour rien, et savent, tour à tour,
Damner les uns pour mieux vendre le Ciel aux autres.