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POÈMES TRAGIQUES.


Et plus heureux aussi le mendiant sauvage
Qui dort, repu parfois, et sans penser à rien,
Sous quelque porche, ou sur le fumier du village !

Des fantômes hideux, d’un vol aérien,
Enveloppent Magnus, comme les sauterelles
Que l’été multiplie au désert Syrien.

Ces apparitions, formes surnaturelles,
Moines, turks, prêtres, juifs, femmes de tout pays,
Les bras roidis vers lui, se le montrent entre elles.

Tous ceux qu’il a connus, reniés et trahis,
Dépouillés, égorgés, les voici ! C’est la foule
De ses mauvais désirs soixante ans obéis.

Leur tourbillon s’accroît, se presse, se déroule,
Et chacun d’eux l’asperge, avec un souffle chaud,
Du sang infect et noir qui de leurs lèvres coule.

Leurs cris, parmi le vent furieux, et plus haut,
L’assourdissent, pareils aux clameurs enragées
De soudards écumants qui montent à l’assaut.

Il voit le flamboiement des villes saccagées,
Et se tordre, pendant l’inoubliable nuit,
Les nonnes du Carmel lâchement outragées.

Puis cela se confond, passe, et s’évanouit ;
Mais, cette vision à peine dissipée,
Quelque chose de plus effroyable la suit.