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POÈMES TRAGIQUES.


Les Îles d’autrefois hérissaient de leurs cimes,
Le gouffre monstrueux des océans taris,
Où s’étaient desséchés la fange et les débris
Des siècles engloutis au fond des vieux abîmes.

Funéraire flambeau d’un sépulcre muet,
Le soleil épuisé, pendu dans le ciel blême,
Baignait lugubrement de sa lueur suprême
L’immense solitude où rien ne remuait.

Et j’errais en esprit, Ombre qui rôde et passe,
Sans regrets, sans désirs, au hasard emporté,
Reste de l’éphémère et vaine humanité
Dont un souffle a vanné la cendre dans l’espace.

Et je vis, au plus haut d’un mont, silencieux,
Impassible, plus froid que la neige éternelle,
Un Spectre qui couvait d’une inerte prunelle
L’univers mort couché sous le désert des cieux.

Majestueux et beau, ce spectre, auguste image
Des Rois olympiens, enfants des siècles d’or,
Se dressait, tel qu’au temps où l’Homme heureux encor
Saluait leurs autels d’un libre et fier hommage.

Mais l’Arc, d’où jaillissaient les désirs créateurs,
Gisait parmi les blocs de neige, avec les Ailes
Qui portaient vos baisers, ô blanches Immortelles,
De la bouche des Dieux aux lèvres des pasteurs !