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LES INQUIÉTUDES DE DON SIMUEL.


La flotte, inerte, n’a vivres, chiourmes ni rames ;
Hidalgos ni soudards ne chaussent l’étrier ;
Car cette pénurie excite aux sourdes trames
Le Riche-homme non moins que l’arbalétrier.

Don Simuel Lévi, certe, est des plus honnêtes
Parmi les argentiers circoncis, mais le Roi
Croira malaisément qu’un Juif ait les mains nettes
Qui laisse le Trésor en un tel désarroi.

Sa méfiance est grande et n’excepte personne ;
Âpre au gain et prodigue, et de plus fort cruel,
Pour qu’il juge et condamne il suffit qu’il soupçonne.
L’esprit perplexe, ainsi songe Don Simuel.

Que résoudre ? Avouer que la Caisse étant vide
Il faut, sans nul retard, enrayer les apprêts
De guerre ? À coup sûr, non ! Il en est tout livide,
Et tremble, se disant : Qu’adviendrait-il après ?

Rançonner les couvents, traire les juiveries ?
Du rocher de Tharyq au roc Asturien,
Malgré les oremus et les piailleries,
Le Roi l’a déjà fait, et sans y laisser rien.

S’enfuir ? Passer au Comte avec joyaux et doubles ?
Les moyens sont chanceux et les chemins ardus ;
Et, d’ailleurs, en ces temps de voltes et de troubles,
Les transfuges sont tous échangés ou vendus.