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POÈMES TRAGIQUES.


S’il est vrai, tout est bien. Mais voici, d’autre part,
Que son dogue, très doux et très joyeux naguère,
A mordu les naseaux de son cheval de guerre,
Et hurlé de façon lamentable au départ.

Le présage est mauvais, sans conteste, et mérite
Qu’on y songe. De plus, au gué du fleuve, un soir,
En se courbant sur l’eau sombre, il a laissé choir
Hors la gaîne et perdu sa dague favorite.

En sus, le Roi son frère est dangereux aux siens :
Sa merci n’est pas franche et sa haine est tenace ;
Rarement il oublie et jamais ne menace,
D’autant plus rancunier que les torts sont anciens.

Lui, Fadrique, pourtant, n’a-t-il point, pour son compte
Depuis lors, et fidèle au pardon octroyé,
Suivi de l’Ordre entier, bravement guerroyé
Contre le Grenadin, l’Aragon et le Comte ?

Sa conscience est nette, et, Saint Jacques aidant,
Qu’est-ce que le danger ? Rien, pour qui le méprise.
Sans doute Don Pedro le requiert sans traîtrise.
Le maître songe ainsi, soucieux cependant.

De la plaine au coteau, durant douze journées,
Sous les chênes touffus, par les sentiers pierreux,
Avec ses chevaliers qui devisent entre eux,
Il fait sa route, allant où vont ses destinées.