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LE ROMANCE DE DON FADRIQUE.


Au treizième midi, dans l’air chaud de parfums,
Apparaissent les tours, la cathédrale neuve,
Les mâts banderolés hérissant le grand fleuve
Et le vieil Alcazar des Khalyfes défunts.

Sous la poterne basse à voussure de brique,
Un clerc tonsuré sort de l’ombre brusquement,
Saisit la mule au mors d’un geste véhément,
Et dit : — Par tous les Saints, retournez, Don Fadrique !

Sire maître, pour Dieu ! n’allez pas plus avant !
Mieux vaudrait traquer, nu, le loup dans son repaire.
— Qu’est-ce à dire ? Quittez le mors, quittez, bon Père.
— Si Votre Grâce y va, n’en sortirez vivant !

— Ce serait chose lâche et guet-apens insigne ;
Le Roi mon frère est juste, et non point si mauvais.
Il m’aime, il me convie en sa ville, et j’y vais. —
Cela dit, le chien hurle et le prêtre se signe.

Don Fadrique descend dans la grand’Cour d’honneur.
On verrouille la porte afin que nul n’en sorte ;
Et le chef des massiers vient, et dit de la sorte :
— Notre Sire le Roi vous mande seul, Seigneur.

— Pero Lopez, laissez entre mes Riches-hommes ;
Ce sont bons chevaliers fidèles et prudents.
— Ils logeront dehors, et vous, Maître, au dedans.
Le mieux est d’obéir au Roi, tant que nous sommes.