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POÈMES TRAGIQUES.


Croisant ses pieds chaussés de cuir teint de cinabre,
Le Khalyfe, appuyé du coude à ses coussins,
La main au pommeau d’or emperlé de son sabre,
Songe, l’esprit en proie à de sombres desseins.

Car les temps ne sont plus de la grandeur austère.
Le Chamelier divin et le bon Corroyeur,
Aly, le saint d’Allah, ont déserté la terre,
Ayant fait de leur âme un ciel intérieur.

Cléments pour les vaincus de la lutte guerrière,
Ils méditaient parmi les humbles à genoux ;
Le poil de leurs chameaux, tissé dans la prière,
Non la pourpre, ceignait leurs fronts mâles et doux.

Hélas ! Ils sont allés par delà les étoiles,
Et, livrant leur puissance à de vils héritiers,
S’ils vivent dans la gloire éternelle et sans voiles,
Pour le monde orphelin ils sont morts tout entiers.

L’Ommyade est rongé de soupçons et d’envie.
Ses lourds coffres d’ivoire et de cèdre embaumé
Débordent, mais qui sait la soif inassouvie
D’un cœur que l’avarice impure a consumé ?

Le Hadjeb de l’Empire, huissier du seuil auguste,
Qui tient le sceau, l’épée et le sceptre, trois fois
Prosterné, dit : — Très grand, très sévère et très juste !
Bouclier de l’Islam, Protecteur des trois Lois !