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L’APOTHÉOSE DE MOUÇA-AL-KÉBYR.


Œil du Glorifié, Khalyfe du Prophète,
Qui règles l’univers du Levant au Couchant
Par la force invincible et l’équité parfaite !
Délices du fidèle et terreur du méchant !

Ainsi qu’il est écrit aux Sourates du Livre,
Puisqu’il faut rendre compte et payer ce qu’on doit,
L’homme est prêt : il attend de mourir ou de vivre.
J’ai parlé. — Soulymân écoute et lève un doigt.

Les tentures de soie, aussitôt repliées,
S’ouvrent. Un grand vieillard, sous des haillons de deuil,
La tête et les pieds nus et les deux mains liées,
Maigre comme un vieil aigle, apparaît sur le seuil.

Sa barbe, en lourds flocons, sur sa large poitrine,
Plus blanche que l’écume errante de la mer,
Tombe et pend. Le dédain lui gonfle la narine
Et dans l’orbite cave allume son œil fier.

Un sillon rouge encore, une âpre cicatrice,
Du crâne au sourcil droit traverse tout le front
Qui se dresse, bravant l’envie accusatrice,
Indigné sous l’outrage et hautain sous l’affront.

Ceux d’Yémen, d’Hedjaz, de Syrie et d’Afrique,
Pour le laisser passer s’écartent un moment,
Et lui, sans incliner sa stature héroïque,
Devant le Maître assis s’arrête lentement.