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Page:Leconte de Lisle - Œuvres, Poèmes tragiques.djvu/21

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L’APOTHÉOSE DE MOUÇA-AL-KÉBYR.


Et qui sait — car tout homme ambitieux et louche
S’enfonce au noir chemin par le Maudit tracé —
S’il ne reniait Dieu du cœur et de la bouche
Pour le Fils de la Vierge et son culte insensé ?

Si, relevant ceux-là qu’il renversait naguère,
À ses mauvais désirs donnant ces vils soutiens,
Il ne voulait livrer ses compagnons de guerre
Aux vengeances des chiens juifs et des loups chrétiens ?

Aussi bien, trahissant le secret de leur âme,
Pour assurer leur crime et mieux tendre leurs rêts,
Son fils, Abd-al-Azyz, n’a-t-il point pris pour femme
La veuve du roi goth qui mourut à Xérès ?

Mais ta haute raison qui jamais ne trébuche
Sait rompre les desseins que l’infidèle ourdit.
Le renard, ô Khalyfe, est tombé dans l’embûche.
Le voici. Juge, absous ou condamne. J’ai dit. —

Alors, le vieux Mouça, faisant sonner sa chaîne
Et sur son âpre front levant ses bras pesants,
Cria : — Honte au mensonge et silence à la haine
Qui bave sur l’honneur de mes quatre-vingts ans !

Louanges au Très-Haut, l’Unique ! car nous sommes
De vains spectres. Il est immuable et vivant.
Il voit la multitude innombrable des hommes,
Et, comme la fumée, il la dissipe au vent.