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POÈMES TRAGIQUES.


Tout pâle, Soulymân se lève de son siège :
— Liez, tête et pieds nus, ce traître, et le traînez
Sur un âne, à rebours, et qu’il ait pour cortège
La fange et les cailloux et les cris forcenés !

Qu’un eunuque le tienne au cou par une corde ;
Que dans sa chair, saignant de l’épaule à l’orteil,
À chaque carrefour le fouet qui siffle morde,
Et tranchez-lui la tête au coucher du soleil !

Allez, et sachez tous qu’il n’est point de refuge
Devant mon infaillible et sévère équité. —
— Soit ! dit Mouça. L’arrêt, par Allah ! vaut le juge.
Khalyfe ! songe à moi dans ton éternité. —

À travers la huée et les coups, par la ville,
Sur un âne poussif bon pour d’abjects fardeaux,
Le vieux guerrier, vêtu de quelque loque vile,
Impassible, s’en va, les poings liés au dos.

La multitude hurle et le poursuit. Les pierres
Volent, heurtant sa face et meurtrissant ses bras.
Le fouet coupe ses reins saignants. Mais ses paupières
Sont closes. Il ne voit, n’entend rien, ne sent pas.

Son âme s’en retourne aux splendides années
Qui semblaient ne jamais décroître ni s’enfuir,
Où, méditant déjà ses hautes destinées,
Il quittait l’Yémen et sa tente de cuir ;