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Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/130

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sacatove

père et le fils revinrent chez eux et attendirent patiemment que la fugitive leur donnât des nouvelles, bonnes ou mauvaises. Le premier n’en fuma pas moins de pipes ; le second n’en tua pas moins de perdrix et de lièvres. Tout marcha comme d’habitude dans la maison ; seulement il y eut une chambre inoccupée. Que le lecteur ne s’étonne pas de cette indifférence, et ne m’accuse point d’exagération. Le créole a le cœur fort peu expansif et trouve parfaitement ridicule de s’attendrir. Ce n’est pas du stoïcisme, mais bien de l’apathie, et le plus souvent un vide complet sous la mamelle gauche, comme dirait Barbier. Ceci soit dit sans faire tort à l’exception, qui, comme chacun sait, est une irrécusable preuve de la règle générale. Ce fut à peu de temps de là qu’on entendit parler de Sacatove à l’habitation. Un noir assura l’avoir rencontré dans les bois. Cette nouvelle fut bientôt confirmée d’une façon éclatante. Une bande de noirs marrons dévasta les habitations situées aux approches de la forêt, et celle du maître de Sacatove ne fut pas épargnée. Une nuit, entre autres, l’appartement de la jeune fille enlevée fut si complètement dévalisé qu’il ne resta que les trois cloisons inamovibles, la persienne de rotin ayant aussi été emportée. Le détachement des hauts de Saint-Paul reçut l’ordre de poursuivre les marrons. Notre jeune créole prit son meilleur