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le vent, entre les ravines de Saint-Gilles et de Bemica. Puissamment favorisé par la fécondité d’une terre vierge et par le grand nombre d’esclaves qu’une traite active multipliait dans la colonie, il ne tarda pas à se créer une fortune considérable qu’il laissa à son unique héritier, le comte Marc-Honoré, devenu marquis de Villefranche. Ce dernier avait pris part dans sa jeunesse, de même que l’élite des créoles de l’Île de France et de Bourbon, à la brillante expédition de M. de la Bourdonnaye contre Madras. Le seul épisode romanesque qui se rencontrât dans la vie peu accidentée du marquis, datait de la nuit où Dupleix viola la capitulation de Madras et livra au pillage et à l’incendie la ville noire et la ville blanche. Au milieu des cris et de la flamme, tandis qu’il s’efforçait à la tête de sa compagnie de volontaires de réprimer la fureur dévastatrice des soldats de Dupleix, un vieillard arménien et sa fille avaient imploré sa protection. La chaleur du moment, les supplications du père qui succomba devant lui aux blessures qu’il avait reçues, la beauté, l’effroi, les larmes de la jeune Arménienne troublèrent de telle sorte le cœur de Marc-Honoré, et d’un autre côté le grand air du comte et sa généreuse conduite émurent tellement sa protégée, qu’il s’ensuivit une union qui mécontenta fort M. de Villefranche père, mais qu’il finit par sanctionner, comme il est d’usage.