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Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/175

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marcie

De ce mariage insolite entre l’héritier des Rabastens du Languedoc et la fille d’un marchand arménien de Madras résulta la naissance d’un enfant, quelque vingt ans après.

Depuis la mort de son père, le marquis avait passé de longs jours pleins de calme et de monotonie. Une seule, mais une grande douleur l’avait frappé ; ce fut la perte de sa femme, qui lui laissa Marcie de Villefranche, sa fille, sur laquelle il reporta exclusivement toutes ses affections.

Au mois de juillet 1780, nous retrouvons le marquis, vers les six heures du matin, assis sous une large varangue, dans son habitation du Bernica, et fumant une longue pipe à godet d’argent. C’était un homme de cinquante-six à soixante ans, d’une haute taille, hâlé par le soleil, et revêtu d’une large robe de chambre à ramages, de pantalons à pieds et d’un chapeau de paille de dattier tressée à la manière des noirs. Il portait ses cheveux encore bruns, sans poudre ni queue. Ses traits grands et nobles avaient une expression bienveillante qui attirait tout d’abord. En face, debout devant lui, dans une attitude de respect et de confiance, un noir semblait attendre que son maître l’interrogeât. Cet esclave n’avait rien des signes de dégradation dont sa race est frappée. Le front était haut, les traits énergiques, mais proportionnés, l’œil noir et hardi. On devinait, sous le léger vêtement de toile bleue qui les couvrait, la vigueur et la souplesse des bras