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Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/178

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marcie

montagnes qui séparent le quartier de la Possession de Saint-Denis. Vers l’ouest, en face de la varangue sous laquelle fumait M. de Villefranche, la mer déroulait son horizon infini. C’était un vaste tableau où resplendissait aux premières leurs du soleil cette ardente, féconde et magnifique nature, qui ne s’oublie jamais. M. de Villefranche, né dans l’Inde, élevé à Bourbon, sans se douter beaucoup de l’attrait invincible qu’exerçait sur lui cette nature luxuriante, la seule qu’il connût, s’y rattachait pourtant par des liens si nombreux et si forts, que l’idée de réaliser sa fortune et de gagner la France ne lui était jamais venue. Ne vivant que pour sa fille, prêt à tout faire pour peu qu’un désir quelconque fût exprimé par cette enfant si chère, image vivante d’une femme qu’il avait passionnément aimée, il prévoyait dans son cœur les moindres fantaisies de sa fille, choses sérieuses pour lui ; mais il n’avait jamais supposé qu’elle voulût un jour quitter Bourbon.

Marcie de Villefranche avait dix-huit ans en 1780, époque où se passe notre drame. Douée de la grande beauté de sa mère, elle avait plus de fermeté dans les traits et dans la démarche. L’air vif et pur de la montagne avait légèrement doré la blancheur native de sa peau ; l’énergie calme de ses yeux noirs n’en excluait pas un charme d’attraction irrésistible. Bonne et accessible à tous, la bienveillance parlait la première en elle ; mais son estime ou son admiration