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la rivière des songes

roastbeef par jour, ce qui fait que la santé inquiétante de sa fille lui déchirait le cœur, mais ne diminuait en rien la rotondité de son abdomen. Certes, le digne homme s’ingéniait cruellement à distraire sa fille ; il n’était aucun excès d’imagination auquel il ne se livrât pour atteindre ce but. Ainsi, après avoir fait dorer sur tranches les livres d’Édith, il les faisait argenter ; il encombrait la maison des mille futilités luxueuses, mais fort laides, de l’Inde et de la Chine ; il avait voulu attacher au service spécial de sa fille deux nains hottentots, Sylphe et Sylphide, l’un en qualité de coureur. l’autre de femme de chambre, mais Édith ayant déclaré que ces deux monstres la faisaient mourir de peur, ils avaient été expédiés en Angleterre en compagnie d’une cargaison de girofle, le tout à la consignationde la maison Carter et Cie, de Londres. Nous pourrions énumérer encore, si n’était notre crainte d’ennuyer le lecteur, un babouin élevé à servir à table par un gentleman ad hoc du Cap, lequel quadrumane avait coûté cent guinées à M. Polwis, et qu’il destinait à verser le thé chaque soir ; deux petits lions dont il avait fait présent à Édith le jour de sa naissance et qui étaient morts de consomption à force de sauvagerie rentrée ; une gazelle indienne, — son plus charmant cadeau, — victime d’une altercation avec le babouin ci-dessus, etc. Bref, M. Polwis n’avait pas deviné que sa fille mourait de ne pas aimer et