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mon premier amour en prose

Cette dernière prévenance m’exaspéra, et je repoussai la tabatière si brusquement qu’elle échappa de sa main. Il me lança un regard indigné, ramassa le mouffia vide, et s’éloigna d’un pas grave. Pour moi je m’enfuis de l’église et je fus mêler, disait un académicien, ma douleur aux gémissements des flots orageux. Malheureusement, la mer était fort calme, et je pleurais de joie plutôt que de tristesse, quoique je ne susse pas trop ce que j’éprouvais : mon premier amour m’avait assailli comme un coup de vent. Car j’étais amoureux, et amoureux de la plus délicieuse peau orangée qui fût sans doute sous la zone torride ! Amoureux de cheveux plus noirs et plus brillants que l’aile d’un martin de la montagne ! Amoureux de grands yeux plus étincelants que l’étoile de mer qui jette un triple éclair sous la houle du rescif !… et tellement amoureux, tellement ravi, le cœur tellement gonflé de bonheur… que je tombai malade dès le soir même, attendu que je ne voulais plus ni boire ni manger, ni parler ni dormir, et que j’étais devenu pâle comme un de ces hommes de mauvaise mine qu’on appelle des poètes. Hélas ! ce temps de joie et d’espérance ne pouvait durer ! Au bout de huit jours, il fallut me lever, et la tristesse revint avec la santé. Alors, je n’eus plus qu’un seul rêve, qu’un seul but dans la vie, ce fut de retrouver le chapeau de paille à roses blanches et à rubans cerise. Or, le lendemain de ma complète