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une peau de tigre

sanglants et inanimés, un homme et un énorme tigre du Bengale. Le Hottentot remua curieusement du pied le terrible animal, et s’aperçut qu’une balle lui était entrée dans l’œil droit pour sortir un peu au-dessous de l’oreille gauche, d’où il conclut que celui-là devait être incontestablement mort. Quant à l’homme, il le ranima avec l’eau de sa calebasse et le porta au Cap, où, en guise de remerciement, il fut attaché au service de lord Sommerset, puis reçut cent guinées et le surnom de Sylphe.

Lord Henry écrivit à miss Edith Polwis qu’un voyage indispensable l’appelait à l’île Maurice, et il resta trois mois à se guérir complètement des rudes atteintes de son adversaire vaincu par la grâce de Dieu. Seulement, en sa qualité de vainqueur, il voulut s’approprier un éclatant souvenir de lui, en changeant ses yeux en topazes, ses dents en argent, ses griffes en or et sa noble peau en un superbe tapis. Puis, il revint de l’île Maurice, quoiqu’il n’eût pas bougé du Cap, pour aller prier à genoux miss Edith Polwis de vouloir bien fouler de ses pieds délicats la dépouillede son ennemi ; ce que miss Edith lui accorda avec sa main.

Le lecteur sait maintenant, — du moins l’auteur a la très grande ambition de le croire, — pourquoi lady Edith Sommerset pleurait en contemplant la peau de tigre dont