Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
DEUXIÈME PARTIE.

KRÉOUSA.

                       Et c’est là, dans ce funeste lieu,
Que j’enfantai ce fils né de l’amour d’un Dieu,
Ce fils qu’on m’a ravi, quand il naissait a peine,
Et déjà revêtu de beauté surhumaine !
Hélas ! il souriait, confiant et joyeux ;
La splendeur paternelle éclatait dans ses yeux,
Et j’oubliais ma honte en baisant son visage !
Mais, une sombre nuit, dans la grotte sauvage,
Il me fut enlevé par les bêtes des bois,
Sans doute ! Et je l’ai vu pour la dernière fois !


LE VIEILLARD.

Ô malheureuse enfant d’Érékhthée, ô Maîtresse,
Que ne puis-je apaiser ta profonde détresse !
Mais il te faut subir un mal immérité :
Ce que veulent les Dieux ne peut être évité.


KRÉOUSA.

Quoi, vieillard ! je verrais, d’une âme lâche et vile,
Cet Étranger, siégeant, sceptre en main, dans ma Ville,
Insulter à mon fils qui n’a point de tombeau
Et mêler à ma race antique un sang nouveau !
Non ! C’est à toi, plutôt, de seconder ma haine.
Non ! Que l’Étranger meure, ou je ne suis plus Reine,
Ou, livrant ta vieillesse ingrate aux longs remords,
Je rejoins mes aïeux et mon fils chez les morts !