Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Où le cœur ne bat plus d’avoir trop palpité
D’amour pour l’univers et pour la vérité !

Oh ! de quels yeux chargés d’un désespoir sans borne,
Sa Mère le contemple, inerte, pâle, morne,
Le cœur d’un seul désir désormais consumé,
Sans pouvoir détourner de ce Fils bien-aimé,
Sa joie et son orgueil, sa divine amertume,
Un regard fixe où l’âme entière se résume !
Tout est là, sur ce bois rougi d’un sang sacré,
Sur ce front ceint d’épine, et ce reste adoré
Que l’impossible mort a glacé devant elle,
Tout ! ses terrestres jours et sa vie immortelle !
Elle baise, muette, et presse entre ses bras
Cette immobilité terrible du trépas ;
Elle touche ces pieds où les clous déicides
Font encore saigner leurs empreintes livides,
Et les mains, et le flanc que le fer a percé !
Et comme pour sortir de son rêve insensé,
Pour dissiper plus tôt cette effrayante image,
Elle approche plus près du céleste visage,
Elle épie un soupir, un vague mouvement,
Le voit mort, et frémit silencieusement.

Et c’est pourquoi, Marie, au Ciel où tu vas luire,
Où le Sauveur aura couronné ton martyre,
Quand un jeune tombeau fera couler leurs pleurs,
Elles te nommeront la Mère de douleurs,
Celles qui, gémissant dans un même supplice,
De la maternité tariront le calice !