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Vers qui s’exhaleront les vœux et les cantiques
Dans les temples déserts ou sur l’aile des vents ?
À qui demander compte, ô Rois des jours antiques,
De l’angoisse infligée aux morts comme aux vivants

Vous en qui j’avais mis l’espérance féconde,
Contre qui je luttais, fier de ma liberté,
Si vous êtes tous morts, qu’ai-je à faire en ce monde,
Moi, le premier croyant et le vieux révolté ? —

Et l’Homme crut entendre alors dans tout son être
Une Voix qui disait, triste comme un sanglot :
— Rien de tel, jamais plus, ne doit revivre ou naître
Les Temps balayeront tout cela flot sur flot.

Rien ne te rendra plus la foi ni le blasphème,
La haine, ni l’amour, et tu sais désormais,
Éveillé brusquement en face de toi-même,
Que ces spectres d’un jour c’est toi qui les créais.

Mais, va ! Console-toi de ton œuvre insensée.
Bientôt ce vieux mirage aura fui de tes yeux,
Et tout disparaîtra, le monde et ta pensée,
Dans l’immuable paix où sont rentrés les Dieux. —