Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’espérance du salut ; passions d’autant plus fortes, plus ardentes et plus vivantes, que cette terreur et cette espérance étaient imposées par la Foi. Or, la tolérance moderne, à peu près universelle, née d’une indifférence profonde, est un dissolvant plus sûr que l’oppression. D’un autre côté, le mouvement formidable de la Révolution française, trop foudroyant et trop promptement enrayé, n’a rien produit dans l’Art. Nous n’aimons pas assez la liberté pour que le goût capricieux qu’elle nous inspire puisse nous relier énergiquement dans une exaltation commune et durable.

Cependant, voici que la France du dix-neuvième siècle possède, affirme-t-on, un grand poète populaire et national, mort hier, en qui revit l’âme de tout un peuple. C’est le chansonnier de Lisette, de Margot, de Catin et du Dieu des bonnes gens. Si cette affirmation incroyable est fondée, non seulement les réflexions qui précèdent sont fausses, mais encore, ce qui est plus grave, l’âme du peuple français contient en vérité peu de chose. Rassurons-nous. Rien ne revit dans ces maigres pamphlets à refrains, pauvrement conçus, pauvrement écrits, si ce n’est l’inutile souvenir de vieilles et puériles polémiques étrangères à la poésie.

Le génie de Béranger est à coup sûr la plus complète des illusions innombrables de ce temps-ci, et celle à laquelle il tient le plus ; aussi ne sera-ce pas un des moindres étonnements de l’avenir, si toutefois l’avenir se préoccupe de questions littéraires, que ce curieux enthousiasme attendri qu’excitent ces odes-chansons qui ne sont ni des odes ni des chansons. L’homme était bon, généreux,