Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/255

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honnête. Il est mort plein de jours, en possession d’une immense sympathie publique, et je ne veux, certes, contester aucune de ses vertus domestiques ; mais je nie radicalement le poète aux divers points de vue de la puissance intellectuelle, du sentiment de la nature, de la langue, du style et de l’entente spéciale du vers, dons précieux, nécessaires, que lui avaient refusés tous les dieux, y compris le dieu des bonnes gens qui, du reste, n’est qu’une divinité de cabaret philanthropique.

Où réside donc le secret de cette gloire populaire incontestable et incontestée ? Dans le manque absolu d’originalité non moins que dans l’absence de poésie qui caractérisent l’homme et l’œuvre.

Je m’explique.

Les marques constitutives de l’originalité d’esprit sont diamétralement différentes, en France, de celles admises par les autres nations, sauf la race chinoise peut-être. Les aperçus ingénieux, les formes nouvelles, les conceptions individuelles qui demandent à la pensée comme un labeur quelconque, sont autant de vices intellectuels que nous stigmatisons volontiers, et d’une façon unanime, du nom injurieux d’excentricités, c’est-à-dire de monstrueuses échappées hors de l’orbite connue, fatale.

Pour me servir, avec quelque pudeur offensée, d’une locution très française et très significative, rien n’est écouté, n’est regardé, n’est accepté, n’est compris, qui ne soit, après mille négations, mille angoisses, mille misères, irrévocablement tombé dans le domaine public. Alors, mais seulement alors, nous avons conquis nos titres à l’originalité. Plus on creuse cet horrible non--