Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours, la critique courante parle de ce qu’elle ignore. La haine, l’envie et l’outrecuidance perturbent ce qui lui reste d’entendement. Si le poète est avant tout une nature riche de dons extraordinaires, il est aussi une volonté intelligente qui doit exercer une domination absolue et constante sur l’expression des idées et des sentiments, ne rien laisser au hasard et se posséder soi-même dans la mesure de ses forces. C’est à ce prix qu’on sauvegarde la dignité de l’art et la sienne propre. Quant à ceux qui s’enorgueillissent de n’être que de simples machines à vers, et dont l’ambition consiste à devenir quelque trompette publique, pendue à l’angle des rues, et dans laquelle soufflent le vent et la multitude, je les abandonne de grand cœur aux applaudissements de la critique. Auguste Barbier n’a rien de commun, assurément, avec cette lie des poètes. Ce n’est point un quêteur de réclames et de popularité.

Nul, j’en suis convaincu, n’est plus religieusement épris du beau et de la perfection ; nul n’y tend avec plus de sincérité. Mais on ne réalise pas toujours ses meilleures espérances. L’auteur d’Il Pianto blâmerait tout le premier, dans son œuvre, s’il les y découvrait, ces vers incorrects et incolores, ces rimes impossibles, ces maladresses d’exécution dont on lui fait un si étrange mérite, et qui, par malheur, abondent plus que jamais dans les poésies récemment publiées. Je n’en veux pour preuve que la sûreté de son goût critique en tout ce qui ne le concerne pas. Il sait qu’une œuvre d’art complète n’est jamais le produit d’une inspiration irréfléchie, et que tout vrai poète est doublé d’un ouvrier irréprochable, en ce sens du moins qu’il travaille de son mieux. Ses plus beaux poèmes ne