Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/63

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L’esprit prompt et subtil, l’œil perçant, la main croche,
L’amour sacré de l’or, le cœur dur comme roche,
Et ne mettiez de trêve à vos extorsions
Que pour sacrifier aux tendres passions.
Dès que la Simonie, au grand jour insolente,
Eut mis l’Anneau mystique à votre main sanglante,
On vît bien, par le meurtre et le vol éhonté,
Que vous aviez conquis l’infaillibilité :
L’ancien pirate avait façonné le Saint-Père,
Et vous fîtes du Siège Unique un vrai repaire,
Un Pandémonium rare et complet, un lieu
D’édification parfaite. Ah ! Sang de Dieu !
Ce fut un joyeux temps pour la vieille Nacelle !
Vous coupiez à la fois la gorge et l’escarcelle,
Vous vendiez l’Esprit-Saint, tant la part, tant le lot,
Pour le revendre encor. L’intarissable flot
Des écus ruisselait dans vos coffres avides
Si larges et si creux qu’ils semblaient toujours vides ;
Et je m’ébahissais de voir ainsi les gens
Au sortir de vos mains nus comme des Saints-Jeans,
Émaciés, raclés, desséchés, sans haleine,
Et la peau s’en étant allée avec la laine
De l’agneau, comme avec le poil du maigre ânon,
Par l’Acte, le Décret, la Bulle et le Canon.
Mais vos félicités, Balthazar, furent brèves.
Telles les douces nuits que hantent les beaux rêves
Et que l’aube dissipe avec un long soupir.
Ce fut une heure amère. Il fallut déguerpir
De la Ville éternelle et de la Chaire unique,
Rendre gorge et subir l’arrêt Œcuménique.