Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/62

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Les yeux luisants au fond du capuce marin,
La masse au poing, la cotte au dos, l’épée au rein,
Avec la courte hache et la miséricorde,
Dans l’âpre bruit du vent qui rompt antenne et corde,
Vous haranguiez ainsi vos joyeux compagnons,
Calabrais, Provençaux nourris d’ail et d’oignons,
Aragonais, Pisans, Génois, Grecs et Dalmates,
Hâlés, séchés, tannés, tatoués des stigmates
Du fouet et du carcan familiers aux meilleurs,
Mais réservant la part des Saints, pieux d’ailleurs.
La rage les mordait au ventre, et, dagues hautes,
Ils se ruaient comme un orage sur les côtes,
Bondissant à travers l’écume du ressac,
Mettant ville et faubourg, chaume et palais à sac,
Faisant flamber l’église avec le feu des cierges,
Forçant les celliers clos, les coffres et les vierges,
Et buvant à longs traits, pour être plus dispos,
Dans les ciboires d’or les vins épiscopaux.
En ce temps, Balthazar, maître en rêve du monde,
La Tiare étincelait dans votre âme profonde
Comme un astre au plus noir de l’épaisseur des cieux ;
Et vous battiez alors, ô bel ambitieux,
Durant les sombres nuits, l’onde mélancolique
Pour enfler le futur trésor Apostolique.
J’en atteste la rouille aux clefs du Paradis !
J’ai toujours eu pour vous, entre tous les maudits,
Un vif attrait non moins qu’une très haute estime ;
Vous aviez l’heureux flair du gain illégitime,
Le mépris naturel de l’antique vertu,
Le goût de la traîtrise et du chemin tortu,