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POÈMES BARBARES.

Évoque autour de Seîn les démons de la mer.
Uheldéda leur dit au milieu du silence :

— Hommes du Chêne, aînés d’une famille immense,
Derniers rameaux poussés sur un tronc ébranlé,
Dormiez-vous dans les bois quand l’Esprit m’a parlé ?
Voguiez-vous, ô marins ! sur la stérile écume,
Quand la voix de Gwiddonn m’a versé l’amertume ?
Ô Bardes ! chantiez-vous l’histoire des aïeux
Et le déroulement des siècles glorieux,
Quand, assise au sommet de mon île sauvage,
J’ai vu du roi Murdoc’h la gigantesque image
Qui montait de la mer, et qui, la hache en main,
Fauchait un chêne d’où coulait le sang humain ?
Oui, tandis que, tombant par ruisseaux dans l’abîme,
La sève jaillissait, rouge, du tronc sublime,
Et que le traître, avec de furieux efforts,
Détachait coup sur coup les rameaux déjà morts,
Gwiddonn m’a dit, du fond de la nue éternelle :
— Pour le sixième soir de la lune nouvelle !
Debout, Uheldéda ? Les temps sont révolus,
Vierge, et le monde impur ne nous reverra plus,
Après que dans Mona, vénérable aux Dieux mêmes,
Auront monté les cris de mort et les blasphèmes ! —
Ô roi d’Armor, Gwiddonn, qui me parlais ainsi,
Esprit du chêne, ami des justes, nous voici !
Viennent l’heure fatale et Murdoc’h et le glaive !
Si le dieu triomphant des jours nouveaux se lève,