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POÈMES BARBARES.


Mais, ô Nature, hélas ! ce n’est point toi qu’on aime ;
Tu ne fais point couler nos pleurs et notre sang,
Tu n’entends point nos cris d’amour ou d’anathème,
Tu ne recules point en nous éblouissant !

Ta coupe toujours pleine est trop près de nos lèvres ;
C’est le calice amer du désir qu’il nous faut !
C’est le clairon fatal qui sonne dans nos fièvres :
Debout ! Marchez, courez, volez, plus loin, plus haut !

Ne vous arrêtez pas, ô larves vagabondes !
Tourbillonnez sans cesse, innombrables essaims !
Pieds sanglants ! gravissez les degrés d’or des mondes !
Ô cœurs pleins de sanglots, battez en d’autres seins !

Non ! Ce n’était point toi, solitude infinie,
Dont j’écoutais jadis l’ineffable concert ;
C’était lui qui fouettait de son âpre harmonie
L’enfant songeur couché sur le sable désert.

C’est lui qui dans mon cœur éclate et vibre encore
Comme un appel guerrier pour un combat nouveau.
Va ! nous t’obéirons, voix profonde et sonore,
Par qui l’âme, d’un bond, brise le noir tombeau !

À de lointains soleils allons montrer nos chaînes,
Allons combattre encor, penser, aimer, souffrir ;
Et, savourant l’horreur des tortures humaines,
Vivons, puisqu’on ne peut oublier ni mourir !