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POÈMES BARBARES.

Comme accablé d’un lourd désespoir et d’effroi.
— Donc, le bras du Très-Haut s’est abattu sur toi,
Dit le Moine, et vengeant d’innombrables victimes,
Corbeau hideux, il t’a flagellé de tes crimes ?
— Rabbi, dit le Corbeau, n’est-il point d’équité
De ne punir jamais qu’un dessein médité,
L’intention mauvaise, et non le fait unique ?
Certes, mon châtiment fut une chose inique,
Car je ne savais point, Maître, et j’obéissais
À ma nature, sans colère et sans excès.
— Qu’as-tu fait ? dit le Moine. Achève ! la nuit passe
Et les astres déjà s’inclinent dans l’espace.
— Seigneur, dit l’Oiseau noir agité de terreur,
Ceci m’advint du temps de Tibère, empereur.
Un jour que je cherchais ma proie accoutumée
En planant au-dessus des villes d’Idumée,
Un grand vent m’emporta. C’était un vendredi,
Autant qu’il m’en souvienne, et dans l’après-midi.
Et je vis trois gibets sur la colline haute,
Et trois suppliciés qui pendaient côte à côte.
— Miséricorde ! dit le Moine tout en pleurs,
C’était le roi Jésus entre les deux voleurs !
— Cette colline, dit l’Oiseau, très âpre et nue,
Silencieusement se dressait dans la nue.
Un nuage rougi par le soleil couchant,
Immobile dans l’air poudreux et desséchant,
Pesait de tout son poids sur ce morne ossuaire,
Comme sur un sépulcre un granit mortuaire.
Et la hauteur était déserte autour des croix