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L’ANATHÈME.


Heureux les morts ! L’écho lointain des chœurs sacrés
Flottait à l’horizon de l’antique sagesse ;
La suprême lueur des soleils de la Grèce
Luttait avec la nuit sur des fronts inspirés :

Dans le pressentiment de forces inconnues,
Déjà plein de Celui qui ne se montrait pas,
Ô Paul, tu rencontrais, au chemin de Damas,
L’éclair inespéré qui jaillissait des nues !

Notre nuit est plus noire et le jour est plus loin.
Que de sanglots perdus sous le ciel solitaire !
Que de flots d’un sang pur sont versés sur la terre
Et fument ignorés d’un éternel témoin !

Comme l’Essénien, au bout de son supplice,
Désespéré d’être homme et doutant d’être un dieu,
Las d’attendre l’Archange et les langues de feu,
Les peuples flagellés ont tari leur calice.

Ce n’est pas que, le fer et la torche à la main,
Le Gépide ou le Hun les foule et les dévore,
Qu’un empire agonise, et qu’on entende encore
Les chevaux d’Alarik hennir dans l’air romain.

Non ! le poids est plus lourd qui les courbe et les lie ;
Et, corrodant leur cœur d’avarice enflammé,
L’idole au ventre d’or, le Moloch affamé
S’assied, la pourpre au dos, sur la terre avilie.