Page:Leconte de Lisle - Premières Poésies et Lettres intimes, 1902.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
152
premières poésies

Oh ! oui, je le sens bien ; la tristesse est mortelle,
Lorsque pas un ami, de sa main fraternelle,
Ne nous aide à tarir les pleurs que nous cachons !
Lorsque pas une voix, dans l’ombre où nous marchons,
Ne s’unit aux accents d’une vaine espérance !
Mon Dieu ! s’ils connaissaient cette intime souffrance
Qui leur brûle le front, aux pauvres isolés,
Tous ces hommes heureux, devant nous envolés,
Comme si la douleur marquait sur notre face
Le dédain souriant que nul pardon n’efface !
Mon Dieu ! s’ils savaient bien le malheur d’être seul !...
Car ce n’est pas l’ennui, comme un vivant linceul,
Qui dessèche la vie et nous fait chercher l’ombre :
Car, l’ennui, c’est le vide, oh ! c’est le penser sombre
Qui dans chaque blessure étend un doigt cruel,
Et tourne vers la nuit l’œil qui cherchait le ciel !


Ces hommes nous ont dit : « Vous êtes inutiles,
Au travail de l’argent vos mains sont inhabiles ! »
Le mépris de chacun poursuit notre existence,
Car nous ne savons pas voiler la conscience,
Car vers un but sacré notre esprit emporté
Aime à se dérober l’humaine vanité.
Ah ! pourtant si, moins durs à nos rêves de flamme,
Ils ménageaient enfin les désirs de notre âme ;
S’ils étaient indulgents, si d’intimes secours
Nous soulageaient parfois du fardeau de nos jours,